En proie au silence, Tome 2 : la complexification des rapports de force

Genre : Seinen

Éditeur : Akata

Résumé :

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Un malaise s’est installé entre Misuzu et Niizuma depuis que la professeure a exprimé le fond de sa pensée. L’adolescent, perturbé, ne sait plus comment se comporter avec elle.

De son côté, Minako commence à se poser des questions sur Hayafuji, son fiancé, avec qui elle n’entretient plus de rapports charnels. A force de chercher à sauver les apparences, la jeune femme n’a-t-elle pas été trop loin dans ses compromis ?

Mon ressenti :

Le tome 1 de En proie au silence (ici) m’avait déjà fait une forte impression par les thèmes abordés, mais surtout, par la manière de les traiter, d’insuffler aux personnages des réactions réalistes mais dérangeantes

Ce tome est de la même lignée….J’ai eu la sensation d’avoir en miroir des comportements de notre société en pleine figure, et je n’ai pu que grimacer et fermer les yeux de douleur devant certaines scènes.

Ma condition de femme me lie au récit, ma colère face aux injustices et ma nature tempétueuse renforcent le fait que je me sente concernée, au delà de la fiction, par ce que l’autrice décrit.

Dans le mot de l’autrice il est écrit :

En dessinant ce manga, je passe du rire à l’écœurement. Bref, je m’amuse bien.

Ma foi, je ne suis pas du tout passé par la case rire, mais plutôt par l’hébétude, le désarroi, l’affliction, et la colère.

Si l’interlude créé par Wadajima en début de tome façonne le portrait de l’homme jouissant des opportunités offertes par la société constituée de femmes « craquantes », le tableau principal de la victime silencieuse est rapidement repris.

Alors que les abus sexuels qu’elle endure régulièrement depuis 4 ans par l’ignoble Hayafuji lui a fait déverser sa douleur coléreuse sur Niizuma, et qu’un malaise s’installe entre eux, elle remet ses chaussures de proie silencieuse. Et c’est pourquoi sa confrontation avec son antonyme : Midorikawa, sera d’autant plus forte car elle est ce qu’en 2020 (et même depuis quelques années déjà) chaque femme clame : propriétaire de son corps, décideuse de ses choix, que ce soit pour l’exposer ou non.

En posant dans un magazine, elle s’émancipe du carcan dans lequel la société patriarcale veut parquer les femmes avec l’idée qu’elles ne doivent pas exposer leur corps sous peine de perdre de la valeur. Ce qui est une pensée fondamentalement hypocrite, encore plus dans le ton du récit quand on voit les regards d’envie des professeurs divergeant de leurs paroles se voulant moralisatrices, face à la situation.

Je l’interprète comme l’idée que si le corps d’une femme doit être exposée, c’est pour leur bon vouloir et sous leur autorisation (ou pour faire pression) : ce qui fait le corps devenir une source de souffrance pour la femme, comme si elle n’en disposait pas elle-même….Comme si ce corps n’était pas sa propriété.

L’idée que mon corps puisse me faire souffrir, c’est du délire !

Cette impression par les mots de Midorikawa qui, forte, ne laissera personne lui dicter ce qu’elle est censé faire ou non de son corps, mettant en avant à quel point la société s’intéresse trop à brider les prises de décisions des femmes pour quelque chose qui pourtant, ne regardent qu’elles. Mais aussi (par une interprétation extensive) que le décolleté d’une femme est forcément référé à l’ordre sexuel (alors qu’un torse, ça va…).

Je n’ai absolument pas pensé qu’on allait me chercher des noises… juste parce que j’ai affiché mon décolleté

Violeur compulsif, Hayfuji n’a pas fait qu’une victime, l’un de ses amis annonce avec « humour » que dans son tableau de chasse, il collectionne les vierges… Si cet autre trait de pensées nauséabondes qui trament dans la tête de certains est de sortie, c’est surtout la personnalité de manipulateur et de pervers narcissique de ce type qui est mis en surbrillance.

Il est si infâme qu’il parvient à garder sous sa croupe ses victimes, que ce soit en les faisant chanter d’une façon similaire au revenge porn ou par une fausse affection. Pourtant fiancé, il n’a aucun désir pour Minako, et s’il est vrai que chacun entretient ses relations intimes comme il l’entend, le fait que lui ait le désir de briser des vies, avec conscience que ses victimes ne parleront surement jamais prononce cette phrase :

Plus une femme me force la main, moins j’ai envie

Ne peut qu’accentuer pour moi les recoins malsains de son esprit, et je l’entends plutôt comme le fait que c’est l’absence de consentement qui l’excite, se savoir puissant sur ces proies, avoir la « force » de les obliger, de les contraindre et de les garder dans une cage psychologique.

Au final, cette « fiancée » n’en a que le nom, et est une sorte de caricature de la femme au foyer qui ne souhaite vivre que pour son mari (attention, chacun fait ce qu’il veut de sa vie, je parle de caricature par les réactions qu’elle a durant le tome). Pourquoi en avoir une dans ce cas ? Peut-être est-ce pour se conformer aux standards de la société japonaise. Ou encore, peut-être est-ce pour se conférer une sorte d’immunité si les victimes venaient à parler : étant fiancé, pourquoi irait-il les violer ?

Ce comportement de prédateur ressort d’autant plus que Niizuma, lui, est complètement perdu dans les affres de cette société patriarcale. Il n’en saisit pas tous les codes et mécanismes, il tâtonne, cherche, et essaie de ne pas faire de gaffe, composant tant bien que mal avec ses tourments qui proviennent pour beaucoup, de sa petite-amie Mika qui est elle aussi, l’incarnation d’un type de personnalité composant notre société (et avec lequel, j’ai personnellement du mal).

Niizuma permet alors d’affirmer que ce manga, loin de pouvoir être réduit à un listage des défauts et perversions des hommes, montre aussi que parmi eux, il y en a qui ne souhaitent pas être le produit pur jus du patriarcat et d’autres encore qui loin de l’idée de « l’homme fort », veulent juste la paix.

La situation que vit Misuzu, si au début je me demandais pourquoi elle n’essayait pas d’y mettre fin, m’est rapidement apparu comme les cas d’abus d’enfants tout au long de leur croissance, ou des femmes mariées.

Victimes régulières silencieuses, beaucoup de choses entre en compte et les font garder le silence : le désir de protéger quelque chose ou quelqu’un, de se protéger soi, de pouvoir s’abriter dans une chambre de déni à l’intérieur de sa tête, de ne pas savoir comment l’aborder, à qui parler, et surtout, s’ils seront crus…

Non. Je n’ai plus un corps qui m’appartient à moi seule, dont je peux prendre soin. J’aurais aimé pouvoir en prendre soin.

Cette phrase de Mizusu peut rejoindre le fait que les victimes de viols ont la sensation d’être dépossédée de leur corps par l’acte abusif, certaines en viennent à le craindre, à ne plus vouloir le toucher, à y voir une source de malheur et beaucoup doivent réapprendre à l’aimer, à se le réapproprier, à décider de quand l’offrir ou non à leurs partenaires pour se dépêtrer de l’horreur qu’elles ont vécu.

La fin du tome sur Minako, l’amie de Misuzu et « fiancée » de Hayafuji, laisse d’ailleurs la porte ouverte qu’au tome suivant, le silence sera peut-être brisé, mais là, est ce que son amie la croira ? Combien de fois ai-je entendu/lu des victimes dirent qu’elles n’ont pas été crus, que leur physique n’inciterait aucun homme (ou femme, les abus vont dans les deux sens) à les toucher ?….

Ma note : 16/20

Teaser :

Le tome 3 de En proie au silence sort le 9 juillet 2020 chez Akata !

14 réflexions sur « En proie au silence, Tome 2 : la complexification des rapports de force »

    1. Merci ! Les mots et interprétations me viennent plus facilement quand l’œuvre aborde des thèmes qui me parle et que la lecture m’a vraiment marqué. Sinon d’habitude je le fais peu (l’attaque des titans aussi je m’étais jamais mise à faire des interprétations extensives mais j’y voyais tellement différents sens..)
      Je te souhaite d’apprécier le tome 2 !

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      1. Je ne m’en fais pas trop à ce sujet, vu qu’il semble dans la continuité du premier.
        Je ne sais pas si je vais pouvoir l’acheter tout de suite par contre, tellement de sorties s’enchaînent…

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  1. Le tome m’avait plu, même si je ressentais un réel besoin de suite pour trouver l’histoire pleinement complète. Ravie qu’elle soit donc sortie et qu’elle continue à explorer ces thématiques difficiles mais nécessaires.

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      1. Je souhaite continuer ! J’attends que ce tome 2 soit disponible dans ma médiathèque, ce que tu en as dit me rend particulièrement curieuse. 🙂

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  2. Je ne me souviens plus où mais j’ai lu un retour hyper négatif sur le premier tome… Mais ton avis me donne toujours envie de découvrir cette série. Bientôt si je parviens à faire une liste correcte de priorités même si je dois d’abord me concentrer sur mes dernières acquisitions. J’ai hâte de pouvoir échanger avec toi dessus en tout cas car il me semble qu’il y a matière à débat. 😊

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    1. Oui, j’avais entendu parler des critiques négatives dessus, ou des gens rassurés que ce ne soit pas « si dur » envers les hommes mais je t’avoue que je ne suis pas tombée dessus. Sur ce titre, le meilleur moyen, c’est vraiment de lire, de tenter, car le 1er tome m’a dérangé, mais j’ai voulu lire la suite, il est possible que certains préfèrent arrêter à cause de cette étrange sensation que la lecture laisse à la fin. Moi aussi, si tu le lis, ça me plairait 🙂

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